À la rencontre de Roger


« Ma vérité, je l’ai découverte et j’ai appris à l’apprivoiser grâce au Programme de transition des vétérans. »
Originaire du Québec
force de maintien de la paix
Je viens au monde en 1944, à Amos, en Abitibi. Je n’y reste pas longtemps parce que mon père est un militaire. Par la suite, j’habite donc toujours sur des bases, dans des résidences réservées aux familles des soldats. En 1950, il doit nous quitter pour aller faire la guerre de Corée. Une fois la guerre terminée, en 1953, toute ma famille se déplace vers l’Allemagne pour s’établir dans la ville de Werl. Comme les résidences ne sont pas encore construites, nous vivons durant un an et demi au sein d’une famille allemande. Mes trois frères, ma sœur et moi-même n’allons pas à l’école. Nous avons donc beaucoup de temps libre! Ce qui nous permet d’apprendre l’allemand très rapidement. Une compétence si recherchée que même la police civile allemande nous utilise souvent comme interprète! Traduisons-nous toujours fidèlement? Ça dépend… Je suis déjà un peu taquin à cet âge-là!
Une fois que notre séjour en Allemagne est terminé, nous revenons au Québec. On s’installe à Valcartier. Puisque mon père a beaucoup d’expérience et de notoriété comme chef, on le omme responsable du mess des Officiers. Pour ma part, malgré le fait que je n’ai que 17 ans, je décide de suivre le chemin tracé par mon père : je m’enrôle dans le Royal 22.
Grâce à mes talents de boxeur, ma période obligatoire de formation est largement écourtée, pour me permettre de rejoindre plus rapidement l’équipe de boxe du régiment. Contrairement aux boxeurs civils, notre statut nous permet de nous entraîner quotidiennement : nous sommes des athlètes professionnels, de haut niveau. D’ailleurs, durant ma carrière, je gagne de nombreux combats et plusieurs distinctions, dont les fameux « Golden Gloves ».
Bien sûr, je suis l’exemple de mon père. Mais, il y a tout de même des limites. Je ne veux pas travailler en cuisine, comme lui. Et je veux me faire un prénom. C’est la raison pour laquelle j’adhère à l’équipe de boxe, malgré les coups, malgré la douleur. C’est aussi pourquoi je prends un cour de parachutisme et que j’intègre le premier bataillon de forces mobiles dans lequel il faut être constamment prêt à intervenir.
En 1964, je fais partie de la force de maintien de la paix des Casques bleus à Chypre. Peu avant mon départ, je me fiance avec Micheline qui sera mon épouse toute ma vie. Malgré la peine et le déchirement de la séparation, j’y reste neuf mois. Je vous rappelle que l’Internet et les téléphones intelligents n’existent pas… À mon retour, nous nous marions finalement, le 31 octobre. En oubliant que c’est aussi l’Halloween! Ça fait donc 56 ans que je suis déguisé en… époux!
Au moment de mon premier séjour à Chypre, nous sommes au début du conflit. Nous vivons des bombardements. La tension est palpable. Je m’en tire relativement bien. Mais c’est lors de mon deuxième séjour, en 1969, que tout bascule. Mon destin croise celui d’un officier destructeur : le Major Boiteau, dit « Scarface ». Son comportement à mon endroit est celui de ce que certains appellent aujourd’hui un « pervers narcissique ». Une personne qui s’efforce de détruire les autres pour compenser son manque d’estime de soi. Boiteau déteste les boxeurs. Peut-être est-ce un boxeur qui a marqué son visage de cette longue cicatrice qui lui vaut son surnom? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que cet homme est la cause de la fin de ma carrière.

Durant cette mission à Chypre, nous pouvons avoir le privilège de faire venir notre épouse pour une semaine ou deux. Évidemment, il faut obtenir la permission de notre supérieur. Dans mon cas, Boiteau. L’un des soirs suivant cette première attaque personnelle et pernicieuse, Boiteau tente à nouveau de me déstabiliser en utilisant cette fois-ci un langage ordurier qui implique ma femme. Il me regarde et dit : « Imaginez vous donc. Monsieur s’ennuie de sa… plotte! » Oh, puis-je vous dire que j’ai senti les « fils se toucher »! Je lui répond : « Si votre femme est une plotte, la mienne n’en est pas une! ». M’ayant souvent menacé physiquement en se moquant de ma grandeur, je lui réplique aussi : « Viens essayer de me rentrer 15 pouces dans l’asphalte, si t’es capable! ». Je termine en disant : « J’en ai plus rien à faire de ton armée. Je démissionne ».
Évidemment, ce n’est pas aussi simple que ça : on me met immédiatement aux arrêts. Malgré toutes mes tentatives pour expliquer ma réaction et tenter de réparer les dégâts, et même si c’est la première fois qu’un blâme apparaît sur mon dossier, la hiérarchie militaire décide de croire la version mensongère de Boiteau (dans laquelle il me traite littéralement « d’endetté chronique » et de « monstre ») et décide de se débarrasser de moi. Ce qui est d’autant plus facile puisque que j’ai accepté de signer une lettre incriminante, rédigée par Boiteau lui-même, en anglais seulement (que je comprends peine à l’époque). Pour obtenir la permission de mon retour au Canada, Boiteau exige ma signature sur cette lettre, sans condition! Ai-je le choix?
À mon arrivée au pays, je dois démissionner et déménager ma famille de Valcartier. On me donne 1 500$. Ma carrière est terminée. Je quitte dans le déshonneur. Il me reste deux mois pour conclure mon service et atteindre les dix ans nécessaires pour obtenir ma pension… à laquelle je n’ai plus droit. Cet homme a brisé ma vie. Mais je dois tenir le coup pour assurer la survie de ma famille. Je trouve du travail et je tente de mettre ma rancoeur de côté… pendant 45 ans!
À partir de là, la reconstruction peut débuter. Du moins, c’est ce que je souhaite : faire le deuil et retrouver une certaine paix intérieure. Je commence donc une thérapie. Je vois aussi un psychiatre. Après un certain temps, malgré tous mes efforts, je constate une incapacité à m’en sortir. C’est alors que Madame McLeod, une membre de la Fondation des vétérans du Québec me parle du Programme de transition des vétérans (PTV). Je décide de m’inscrire et d’y participer en mars 2019. Cette retraite fermée m’apprend à.. m’ouvrir plus que jamais!
Première étape. Une conversation téléphonique d’une heure avec un psychologue qui évalue la gravité de notre trouble de stress post-traumatique (TSPT) et le bien fondé pour nous de suivre le programme.
Ensuite, une première fin de semaine qui débute le jeudi soir. Six hommes se retrouvent dans un lieu isolé et privilégié, encadrés par deux psychologue et deux « parrains ». Une première activité vise à briser la glace. Chacun se présente, parle de son passé, de ses expériences. Pour ma part, comme toujours, je me dissimule derrière mon masque de clown et je détend l’atmosphère avec quelques blagues.
Le lendemain matin, les choses sérieuses débutent. Nous sommes jumelés deux par deux. Impossible de mentir à notre vis-à-vis qui a la même expérience militaire que nous! La seule solution réside donc dans l’honnêteté, l’ouverture, la transparence, la sincérité et le courage.
Ensuite, nous revenons en groupe. À tour de rôle, chacun doit résumé dans ses mots ce que son vis-à-vis lui a dit. Ça élimine les filtres inutiles, les exagérations et les demi- vérités. Pour être plus précis, on peut prendre des notes. Je me découvre une passion pour l’écriture. Je note tout. Je n’ai jamais écrit autant… même à ma femme lorsque j’étais à Chypre!

Deuxième et troisième fin de semaine. Mêmes six participants. Mêmes quatre personnes qui animent et encadrent. Même intensité. Mais cette fois-ci, chaque participant doit rencontrer les deux psychologues, creuser jusqu’à trouver la source de son problème et réussir à le nommer. Pas facile. Beaucoup plus complexe qu’on peut le penser. Mais après tant de temps passé avec ces personnes qui nous ressemblent, on connaît mieux la réalité de chacun. On analyse les détails. On réalise que nous ne sommes pas tout seul. Que nous avons tous des problèmes. Que même s’ils sont tous différents, on se comprend et que nous sommes en mesure de nous dire des vérités qui font du bien.
Ma vérité, je l’ai découverte et j’ai appris à l’apprivoiser grâce au Programme de transition des vétérans. Je conseille cette démarche à tout le monde qui a vécu ce genre de stress extrême. Si j’étais riche, je ferais un gros don. D’ailleurs, à ma mort, s’il reste de l’argent, c’est très possible qu’il aille au PTV!
Mon histoire vous laisse probablement croire que mon problème origine de ma confrontation avec Boiteau? Jusqu’à un certain point, moi aussi, je le croyais. Et pourtant, grâce au PTV, j’ai trouvé l’origine réelle de mon problème. C’est mon père, ce « héros », qui était tout le contraire… Mais ce serait trop long et trop douloureux pour de nombreuses personnes de vous raconter tous les détails. À chacun sa démarche. À chacun sa vérité, plus facile à vivre avec les autres… et grâce aux autres.
Tu peux changer des vies pour des gens comme Roger