À la rencontre de Mario N.
Texte rédigé par Eric Gagnon


« Mon seul regret, c’est de ne pas avoir connu le Programme plus tôt. »

Originaire du Québec
Opérateur radio dans l’Armée
Pour le caporal-chef à la retraite Mario N., la vie a été une éternelle fuite en avant. Il se sauvait de quelque chose qu’il ne pouvait pas nommer, d’un état d’âme qui, depuis son plus jeune âge, guidait ses choix.
Il faut dire que la vie ne lui a pas fait de cadeau. Son enfance et son adolescence furent marquées par les abus, le rejet et l’intimidation. Pour s’en échapper, la rue est devenue son refuge. Il était libre, mais à quel prix!
Au début des années 1970, alors adolescent, il voit débarquer les militaires dans les rues des grandes villes du Québec, c’est la crise d’octobre. Cette période politique trouble le marquera et guidera même plus tard son choix de joindre les Forces armées canadiennes.
« Dans ces années-là, on parlait beaucoup de l’armée, elle était très présente. Je crois que ça m’est resté dans la tête et que c’est ce qui m’a amené à m’enrôler. Je suis devenu militaire pour me sauver, pour me cacher en quelque sorte », raconte Mario, résumant ainsi près de 40 ans de sa vie.
Un peu comme un coup du hasard, ou du destin diront certains, à 22 ans, après des années d’itinérance, le jeune Mario N., à bout de souffle, décide de devenir militaire.

Un départ fulgurant
Le 21 mars 1979, il se présente au bureau de recrutement des Forces armées canadiennes à Saint-Jérôme, dans les Laurentides. À peine neuf jours plus tard, il est déjà à l’entraînement à l’école des recrues où il se laisse guider par le mouvement. À la fin de cette expérience intense, il est envoyé à Borden pour apprendre l’anglais, une langue qu’il ne maitrise pas du tout.
Il n’aura même pas le temps de s’installer dans sa nouvelle base d’adoption qu’il est envoyé en Norvège pour un exercice avec une unité anglophone. Sans formation adéquate et avec un anglais presque nul, il se retrouve chargé de livrer le courrier. Une fois les trois premières semaines d’exercice complétées, il revient au pays pour apprendre qu’il repart pour un autre exercice dans le nord de l’Europe.
À son retour, on lui permettra enfin d’apprendre un métier, celui d’opérateur radio. Malgré ses protestations et le fait qu’il ne maitrise pas encore la langue, il sera formé en anglais à Kingston, en Ontario.
Cette formation en anglais fera en sorte que Mario passera la plus grande partie de sa carrière militaire au sein d’unités anglophones. Pour sa première affectation en tant qu’opérateur radio, il sera d’ailleurs envoyé à la BFC Petawawa où il sera accueilli par un commandant qui lui dit carrément ne pas aimer les francophones. « J’ai fermé ma gueule et j’ai fait mon travail du mieux que je pouvais. Un mois plus tard, le même commandant m’appelait dans son bureau et m’ordonnait de faire mes bagages parce que je partais pour l’Allemagne », se souvient-il.
Ce sera le début d’une longue série de missions à l’étranger. D’abord de 1981 à 1985 avec un régiment de blindé, puis pour deux années de plus en Allemagne avec le quartier général du 4e Groupe-brigade mécanisé du Canada. Il restera en service dans ce pays jusqu’en juin 1988.
Pas le temps de prendre racine
Quelques mois après son retour au Canada, il apprend qu’il fera partie du groupe de militaires canadiens qui sera envoyé en Irak comme observateurs. La guerre entre l’Iran et l’Irak vient de se terminer et les forces internationales assureront un retour à la normale.
Du moins c’est ce qui était prévu. Au cours de cette mission, Mario sera exposé à des scènes d’horreur indescriptibles. « Nous avons été envoyés là sans préparation adéquate, sans instructions précises. On nous a abandonnés. J’ai passé six mois dans un trou dans le désert. J’ai été envoyé, sans protection, dans des champs où l’Irak avait utilisé des gaz mortels sur des milliers de personnes. On a dû traverser des champs de mines. C’était une mission atroce », se souvient Mario.
« J’ai passé six mois dans un trou dans le désert, sans soutien et sans préparation. »
De retour au pays pour Noël en 1988, on lui apprend qu’il repart dans quelques semaines pour la Syrie. Aux commandes d’un petit groupe de militaires à la frontière entre la Palestine et la Syrie, il négocie des droits de passage et la circulation du courrier et des marchandises dans un climat de conflit permanent. Sur le qui-vive 24 heures sur 24, lui et ses hommes doivent tisser des alliances avec les forces en présence pour survivre.
Après un an en Syrie, il est muté au sein d’une unité de génie à la BFC Petawawa. Il y passera une année plutôt calme à exécuter des tâches en garnison.
En 1992, Mario N. reçoit son premier ordre d’affectation à une unité francophone, à la BFC Valcartier. Comme il a passé les douze premières années de sa carrière avec des unités anglophones, il a l’impression qu’il doit faire ses preuves alors que personne ne le connaît à Valcartier.
Il n’aura pas le temps de s’y attarder bien longtemps puisqu’au bout de quelques semaines on lui apprend qu’il repart en mission, à Chypres cette fois. Il sera affecté au quartier général composé de soldats britanniques et canadiens. Il garde un beau souvenir de cette époque, même si cette nouvelle mission de sept mois à l’étranger s’ajoute à une longue période d’instabilité. « Lorsqu’on est en mission, on est loin de chez nous, on n’a pas la liberté qu’on aurait à la maison, c’est toujours un mode de vie à haut niveau de stress », explique Mario.

Et la fuite continue
De retour à Valcartier en 1993, il devient formateur dans différents domaines du maniement d’armes en passant par les communications et le secourisme. Il dispense aussi des cours en prévention du suicide, en prévention du stress opérationnel et participe à l’organisation de toutes les activités qu’on lui propose. Il est aussi responsable du transport, de la prévention des incendies, des barrages routiers, bref un horaire qui lui permet de garder un rythme semblable à celui qu’il a connu pendant les nombreuses opérations auxquelles il a pris part.
« Je sais aujourd’hui que c’était le début de la fin. »
Ce qui devait arriver arriva. En 1995, Mario frappe un mur. L’épuisement généralisé le rattrape et il décide de lui-même de quitter les Forces. « Je sais aujourd’hui que c’était le début de la fin », résume-t-il.
Cependant, un an et demi plus tard, en 1996, sans emploi, affecté par la perte de son frère et encore malade, il accepte tout de même la proposition des Forces armées canadiennes de reprendre du service.
Il revient à la BFC Valcartier et quelques mois plus tard, on l’assigne à l’opération Prudence, en Afrique centrale, avec la Mission des Nations Unies dans la République centrafricaine (MINURCA). Malgré une blessure cervicale dont il souffre encore aujourd’hui, il complète la mission de six mois dans un environnement à haut risque et avec un sentiment d’impuissance.
À son retour, il poursuit ses tâches au sein de son unité à Valcartier avant qu’on mette fin à sa carrière abruptement en 2001. « On m’a dit alors que je ne répondais plus aux normes minimums pour le service et j’ai été mis dehors », lance Mario.
À bout de souffle, mais la bataille se poursuit
S’en suivront sept ans de bataille, d’expertises, de contre-expertises et d’appels pour qu’enfin en 2008 on reconnaisse sa condition médicale et que les Forces armées canadiennes lui accordent une libération médicale.
« Pendant sept ans, je n’ai pas reçu de soutien pour mes soins ni d’accompagnement. Pendant ces années je me suis débattu comme un diable dans l’eau bénite pour m’en sortir. J’ai tout perdu encore une fois. J’ai dû travailler malade et je suis toujours malade aujourd’hui »,
Comme si la vie ne lui avait pas amené son lot de difficultés, les ennuis ne se sont pas arrêtés là pour le caporal-chef à la retraite. À plusieurs reprises son dossier a été égaré, les soins promis ne sont pas venus, la personne qui devait rappeler n’a pas rappelé.
Au cours des dix ans qui suivirent, il a dû se battre constamment pour obtenir du soutien. « Je ne sais pas pourquoi. Tout est bien clair dans mon dossier, les services auxquels j’ai droit sont établis, mais je me retrouve toujours entre deux chaises. Je ne comprends pas cette malchance qui s’acharne. »
Au bout du rouleau, à l’été 2017, Mario tente à deux reprises de s’enlever la vie.
Alors qu’il se remet lentement sur pieds, une connaissance lui glisse un mot à propos du Programme de transition des vétérans (PTV). Sans grand espoir que cette organisation lui vienne en aide, il autorise son ami à transmettre ses coordonnées à une responsable du PTV.
Quelques jours plus tard, à sa grande surprise, alors qu’il sort à peine d’un séjour d’un mois en hôpital psychiatrique, il reçoit un appel. Mise au courant de ses problèmes de santé mentale et de l’ampleur de son syndrome de stress post-traumatique, la spécialiste en santé mentale lui demande s’il se sent prêt, suggérant qu’il est peut-être trop tôt pour lui.
« J’ai répondu que j’étais prêt et j’ai insisté pour entrer au Programme dans les mois qui ont suivi, même si je savais que ce serait difficile », raconte Mario.

Que signifie le Programme de transition des vétérans pour Mario ?
« La souffrance est beaucoup moins pénible lorsqu’elle est partagée. »
« La souffrance est beaucoup moins pénible lorsqu’elle est partagée. Avec le groupe, j’ai enfin pu me libérer de l’emprise que l’armée avait encore sur moi. Parce que, dans ma tête, j’étais encore un militaire, même vingt ans après en être sorti, et j’ai enfin pu entamer ma transition.
Ça ne veut pas dire de renier mon passé, je dois apprendre à vivre avec ce que j’ai été et avec les symptômes de mon stress post-traumatique. J’ai appris des choses simples au cours du programme qui m’aident à passer à travers les difficultés.
J’ai compris ma souffrance. J’ai compris que je devais arrêter de fuir comme j’ai fait toute ma vie. J’ai pris conscience des actions à prendre plutôt que de fuir. Ça semble simple, mais c’est énorme pour moi.
Ça change une vie! Et le PTV change ma vie encore tous les jours.
Depuis que j’ai terminé le programme, les gens autour de moi me disent constamment que j’ai l’air plus en forme, que j’ai l’air d’aller mieux. C’est vrai et c’est grâce au Programme. Ça n’a pas toujours été facile, mais les jours s’annoncent meilleurs pour moi. »
Que signifie le Programme de transition des vétérans pour Mario ?
Compréhension
Le Programme a permis à Mario de comprendre sa souffrance. Il lui a aussi permis de comprendre qu’il doit arrêter de fuir comme il l’a fait toute sa vie.
Compétences
Mario a découvert des outils concrets qui lui permettent de vivre avec sa condition et d’amorcer une véritable transition vers la vie civile.
Espoir
Le PTV a permis à Mario de retrouver le goût à la vie et l’espoir qu’il peut s’en sortir et avoir une vie meilleure.
Tu peux changer des vies pour des gens comme Mario